On the road (again)
Proposition d'écriture: Ecrire un texte libre où figureront les termes: "Train", "Maria", "Début du printemps", "Carnet de note".
-----
Jamais il n’aurait pu imaginer un jour se retrouver là. Sa veste encore recouverte de poussière, négligemment posée à côté de lui, joue les copilotes. Cela fait maintenant deux heures qu’il roule et il est encore très loin du but.
La veille, il se demandait quel bar il allait pouvoir
enfumer ce samedi soir. La question ne se pose plus. Pourtant il avait
grandement le choix. John lui avait proposé de monter à Baltimore pour deux
jours. Il avait réussi à se procurer l’adresse d’une salle de boxe. Mais la
répression engagée ces derniers temps sur les paris illégaux l’avait quelque
peu refroidi.
Et puis, plus tard dans la journée, il y eut ce coup de
téléphone. Une voix très charmante s’était présentée. Malheureusement, il
s’agissait d’un oiseau de mauvais augure. Maria s'annonça comme une
infirmière de l’hôpital central d’Austin. Sur un ton neutre elle lança :
« Je suis désolé mais ses heures sont comptées. » Il n’avait pu
trouver les mots et après un « très
bien », il avait raccroché et s’en été retourné vers sa télé et sa bière fraîchement
ouverte. Assis dans la pénombre, il était resté plusieurs heures à contempler
l’écran noir. Il se souvenait. Des images revenaient à la surface. Cette nuit
où il avait voulu se réfugier dans sa chambre et l’avait surprise,
sniffant de la cocaïne. Plus tôt, en rentrant du lycée, il l’avait aidé à se
laver alors qu’elle émergeait à peine de ce qu’il pensait être une sieste
prolongée. Mais jamais il n’avait cru pouvoir lui pardonner cette fuite. Cette
fuite qui l’avait privé de mère pendant toute son adolescence. Mais
aujourd’hui, il croit s’en sentir capable bien que le pardon n’efface pas la
mémoire.
La route continue de défiler sous la voiture et les villes se font de plus en plus rares. Les questions s’emmêlent dans son esprit. Il se demande s’il parviendra à lui parler. Si elle l’écoutera. A-t-elle changé autant que lui ?
Ella Fitzgerald l’accompagne sur ces routes de Caroline du sud. En soulevant sa veste, il attrape son calepin qu’il avait secrètement gardé depuis plus de trente ans. Ses doigts font défiler les pages de ces croquis, lui rappelant son enfance et ces moments souvent pleins de solitude. Il revoit ainsi cette maison qu’elle appelait son capharnaüm ; l’océan Atlantique nord qu’il rêvait déjà de conquérir et qui est maintenant devenu son terrain de chasse ; la chambre que parfois elle prenait en otage pour s’y enfermer des journées entières et n’en ressortait que quelques minutes pour jeter sur lui, ses cris et ses pleurs.
Sur la dernière feuille de ce carnet de notes, ce train. Au début du printemps, lors de ses innombrables escapades, il l’avait découvert, abandonné dans une de ces vieilles gares désaffectées. Longtemps, il l’avait dessiné.
Ce train qui un jour l’emmènerait loin de cette souffrance.