La mort ne s'oublie pas, elle s'enfouit….
Lundi
18 Mai : Je me suis levé ce matin en ayant l'impression d'être la
veille. Je ne me suis trompé que de peu. Mêmes personnes croisées,
mêmes visages blafards, mêmes gestes lents. Le lycée n'est plus le
pareil depuis la mort de Seb. Son ombre plane toujours au-dessus de
nous.
Mardi
19 Mai : Pourquoi ? Pourquoi et surtout comment ? Je
suis envahi de questions aujourd'hui et je crois que ne je suis pas le
seul. Seb me hante, nous hante tous. Bien sûr, il était plutôt
intrépide et je ne suis qu'à moitié surpris. Mais quand même, 18 ans,
c'est beaucoup trop tôt. Mon éducation catholique me pousse à
« accepter » mais c'est trop facile. La révolte m'enflamme.
Mes parents la subissent.
Lundi
25 Mai. R.A.S., pathétique. Comme si chaque jour, on ne pouvait oublier
le Bac., oublier Seb. Merde ! T'as vraiment fait le con. Et moi
qui ai failli te suivre. J'aurai dû tiens. Qu'est ce que je dis ?
Encore des conneries, ouai ! Et les parents qui me tannent avec ce
Bac. J'en peux plus !
Vendredi
29 Mai : Enfin ce week-end. Je souffle, je souffre. Comme s'il
avait semer la mort derrière lui. Et sa sœur qui me fait chialer à
chaque fois que je la vois. Elle me fait mal à en crever. Ce midi, je
n'ai rien bouffé. Elle était là, à ma table, à manger ses carottes avec
la même faim que j'aurais à manger de la terre. Elle m'a coupé
l'appétit. J'avais envie de la prendre dans mes bras, si y'avait pas
cette pudeur, assassine. Je suis ballotté, entre compatir à la douleur
de l'autre et rejeter la mienne. Ce double combat me fatigue,
physiquement et moralement. Et mes parents qui ne savent pas comment se
comporter face à moi. Lui est parti et tout le monde a perdu sa place.
Le chien est sorti du jeu de quille.
Dimanche
31 Mai : Le week-end se termine. Il fait lourd. Il pèse sur notre
présence. J'ai vu Sam hier, mêmes impressions. L'épidémie a envahi
l'entourage de Seb. Les plus proches sont les plus touchés. On s'est
rassuré, soutenu, écouté. Ca m'a fait beaucoup de bien, à lui aussi je
crois. Comme en partie soulagé d'un poids. Je commence à y croire.
Mardi 9 Juin. La lente agonie vers l'examen suprême a
repris sa route. Seb disparaît peu à peu des mémoires. Il reste
accroché à la mienne. Telle une enfant agrippée à la jupe de sa mère un
jour de rentrée. Je m'énerve. Les gens oublient trop facilement.
Vendredi
19 Juin : Fin de la semaine, à nouveau. L'électricité de
l'angoissante attente a repris le pas, sur une tristesse déjà engloutie
dans le passé. Ca me révolte. Je crie au scandale.
« J'accuse » cette facilité » à oublier la fatalité. Ces
êtres qui autrefois le pleuraient aujourd'hui l'ignorent.
Mais je reste conscient. En moi il vit toujours. En moi il ne mourra pas.